REGARDEZ-NOUS
Il y a quelques semaines, j'ai été frôlé par un ouragan de catégorie 5. Ceux-là tuent tout le monde, ils sont les plus violents qui existent. Je me trouvais à Wyndham, village perdu au nord du nord de l'Australie. Un miracle a voulu que ce cyclone passe entre les habitations, depuis la côte, sans frapper les humains. Mais les cyclones reviennent, toujours plus nombreux, toujours plus violents, et tôt ou tard ils feront un massacre. À Wyndham vivent essentiellement les membres de tribus aborigènes qui ont échappé aux assassinats des génération précédentes par les colons. Je suis allé à leur rencontre, comme je l'ai fait partout en Australie avec les "Mobs". La pauvreté est indicible. Les conditions de logement, l'état des voitures, de l'environnement, rappellent les plus misérables des taudis d'Amérique latine. En marchant dans ces rues désolées l'on entend des cris de haine, des lamentations, les gens passent comme des ombres le long des maisons détruites aux fenêtres cassées; des groupes vociférants, vibrants d'énergie rageuse et destructrice, obligent à faire un détour. L'on piétine du verre brisé. Ici l'enfance est profanée; ici les femmes sont éventrées au couteau. Ici règnent l'alcool et les métamphétamines. L'espérance de vie est dérisoire. Le mal est partout. Quelques jours auparavant j'avais croisé un autre Aborigène, d’une tribu différente, dans une petite ville nommée Kununurra. Celle-ci accueille au contraire un tourisme de luxe, où des gens fortunés arrivent en avion pour éviter le long et pénible voyage par route. Mais les natifs sont là, aussi, avec leur cortège de misère. Cet homme était allongé par terre, ivre mort, braillant, puant; lorsque je suis passé près de lui, il m'a tendu la main, et je l'ai prise. Il s'est agrippé à moi avec une expression infernale sur le visage. Sa main était massive, ses ongles pointus et épais comme des griffes. Je lui ai dit bonjour mais, accentuant son rictus, il a porté mes doigts à ses lèvres et il les a léchés. Ses yeux étaient injectés de sang, comme englués de pus. J'ai assez croisé d'alcooliques dans ma vie pour savoir qu'il allait bientôt mourir. Et son expression me lançait clairement: "Alors, le Blanc? Je ne te dégoûte toujours pas?" Je me suis forcé à ne pas retirer ma main et j'ai juste dit: "Ne fais pas ça", en soutenant son regard. Alors le visage de l'homme s'est métamorphosé, et il m'a répondu, sur le ton candide d'un enfant: "Je te reconnais! Tu es celui qui m'a déjà aidé!" Je ne sais pas ce qui s’est produit en lui mais la haine était passée, parce que j'avais vraiment regardé ce mourant, parce que ces gens agonisent de n'être pas considérés, sur la terre qui les a vus naître et qu'on leur a volée. Partout en Australie, de Ceduna à Tennant Creek, de Katherine à Broome ou Port Augusta, j'ai rencontré les mêmes misères, les mêmes horreurs. Mais n'oublions jamais que les Aborigènes de Wyndham, par exemple, survivaient aux grands crocodiles, aux reptiles venimeux, au climat hostile, depuis plus de 50 000 ans. Il n'aura fallu que deux siècles de colonisation méprisante pour les détruire. Si l’Occident s’intéresse à eux c’est uniquement pour leur art, et encore sont-ils presque toujours volés par les marchands. Mais ces peuples, avant même de réclamer quoi que ce soit, avant de supplier de n'être pas tués par la police et réduits à une misère abjecte, nous disent simplement: REGARDEZNOUS! Je vous en prie, regardez-les.
Il y a quelques semaines, j'ai été frôlé par un ouragan de catégorie 5. Ceux-là tuent tout le monde, ils sont les plus violents qui existent. Je me trouvais à Wyndham, village perdu au nord du nord de l'Australie. Un miracle a voulu que ce cyclone passe entre les habitations, depuis la côte, sans frapper les humains. Mais les cyclones reviennent, toujours plus nombreux, toujours plus violents, et tôt ou tard ils feront un massacre. À Wyndham vivent essentiellement les membres de tribus aborigènes qui ont échappé aux assassinats des génération précédentes par les colons. Je suis allé à leur rencontre, comme je l'ai fait partout en Australie avec les "Mobs". La pauvreté est indicible. Les conditions de logement, l'état des voitures, de l'environnement, rappellent les plus misérables des taudis d'Amérique latine. En marchant dans ces rues désolées l'on entend des cris de haine, des lamentations, les gens passent comme des ombres le long des maisons détruites aux fenêtres cassées; des groupes vociférants, vibrants d'énergie rageuse et destructrice, obligent à faire un détour. L'on piétine du verre brisé. Ici l'enfance est profanée; ici les femmes sont éventrées au couteau. Ici règnent l'alcool et les métamphétamines. L'espérance de vie est dérisoire. Le mal est partout. Quelques jours auparavant j'avais croisé un autre Aborigène, d’une tribu différente, dans une petite ville nommée Kununurra. Celle-ci accueille au contraire un tourisme de luxe, où des gens fortunés arrivent en avion pour éviter le long et pénible voyage par route. Mais les natifs sont là, aussi, avec leur cortège de misère. Cet homme était allongé par terre, ivre mort, braillant, puant; lorsque je suis passé près de lui, il m'a tendu la main, et je l'ai prise. Il s'est agrippé à moi avec une expression infernale sur le visage. Sa main était massive, ses ongles pointus et épais comme des griffes. Je lui ai dit bonjour mais, accentuant son rictus, il a porté mes doigts à ses lèvres et il les a léchés. Ses yeux étaient injectés de sang, comme englués de pus. J'ai assez croisé d'alcooliques dans ma vie pour savoir qu'il allait bientôt mourir. Et son expression me lançait clairement: "Alors, le Blanc? Je ne te dégoûte toujours pas?" Je me suis forcé à ne pas retirer ma main et j'ai juste dit: "Ne fais pas ça", en soutenant son regard. Alors le visage de l'homme s'est métamorphosé, et il m'a répondu, sur le ton candide d'un enfant: "Je te reconnais! Tu es celui qui m'a déjà aidé!" Je ne sais pas ce qui s’est produit en lui mais la haine était passée, parce que j'avais vraiment regardé ce mourant, parce que ces gens agonisent de n'être pas considérés, sur la terre qui les a vus naître et qu'on leur a volée. Partout en Australie, de Ceduna à Tennant Creek, de Katherine à Broome ou Port Augusta, j'ai rencontré les mêmes misères, les mêmes horreurs. Mais n'oublions jamais que les Aborigènes de Wyndham, par exemple, survivaient aux grands crocodiles, aux reptiles venimeux, au climat hostile, depuis plus de 50 000 ans. Il n'aura fallu que deux siècles de colonisation méprisante pour les détruire. Si l’Occident s’intéresse à eux c’est uniquement pour leur art, et encore sont-ils presque toujours volés par les marchands. Mais ces peuples, avant même de réclamer quoi que ce soit, avant de supplier de n'être pas tués par la police et réduits à une misère abjecte, nous disent simplement: REGARDEZNOUS! Je vous en prie, regardez-les.