LITTERATURE ADULTE
RED MAN
Red Man traite de la dignité humaine transcendant les appartenances ethniques. Il est le premier d'une série de textes qui m'ont été dictés par mon amour des Aborigènes et mon attrait pour la culture éblouissante de ces centaines de tribus. Ce roman s'adresse aux adultes, jeunes ou moins jeunes. Marion Mazauric et l'équipe du Diable Vauvert me permettent, dans des conditions de travail splendides, de donner une voix à ces gens qui souffrent. Je les en remercie profondément. Lors de longs séjours australiens dans des régions sauvages, j'ai fait la rencontre de nombreux membres des tribus aborigènes. Marvellous, le héros que j'ai imaginé pour ce roman, est un garçon pitjantjatjara. (Tribu du centre et du sud du pays.) Les Pitjantjatjara, à l'instar des autres Aborigènes, ont vécu l'horreur de la colonisation ultra-violente du pays, mais celle-ci est plus récente chez eux que chez les tribus côtières. Les séquelles sont terrifiantes: alcoolisme, misère économique, consommation de drogues dures, petrol sniffing, violences familiales, taux de suicide des enfants inimaginable... Je marchais, la nuit à Coober Pedy, au cœur d'un enfer: celui de ces pauvres gens qui s'entretuent à coups de couteau, de tessons de bouteilles, en poussant des cris de sorcières, fous de désespoir, défoncés, totalement perdus... C'est la même histoire partout, d'Alice Springs à Broome, de Darwin à Tennant Creek. Il n'y pas un groupe unique, qui serait "les Aborigènes", et les autochtones insistent beaucoup là-dessus : les tribus sont distinctes et nombreuses. Ainsi le sort de tous les Aborigènes n'est-il pas le même partout. Certains ont plus de chance, plus de réussite. Mais ce que j'ai vu à travers ma longue errance dans le pays m'a profondément marqué. La douleur est insoutenable, la détresse est dans les regards. J'ai interrogé des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants, partout sur l'île. J'étudie l'histoire de ces peuples depuis des années. Je demeure en contact permanent avec eux. Aussi n'est-ce pas superficiel lorsque j'affirme que la condescendance, le mépris affichés par un certain nombre de Blancs dans le pays, et leur désir parfois avoué à voix haute de voir s'évanouir jusqu'au souvenir de ceux dont on a pillé les terres, sont ignobles. Ces natifs martyrisés ont été partout avec moi, au cœur de leur grande détresse, d'une gentillesse et d'une courtoisie magnifiques. Il suffit de les considérer avec un respect, un intérêt dont ils n'ont pas l'habitude. C'est vrai - le nier serait travestir la vérité - que beaucoup d'Aborigènes, surtout dans certaines communautés où on les a parqués contre leur gré, vivent une existence horrible. Nombre d'entre eux se noient. Mais ce naufrage n'est pas intrinsèque à leur nature. C'est L'HUMAIN en eux qui succombe. Blancs, Asiatiques, Noirs, peu importe; face à la tragédie que ces femmes et ces hommes ont affrontée, face aux agressions et au racisme constant qu'ils continuent à subir, personne n'aurait survécu sans traumatisme. On les a volés, tués, violés, réduits en esclavage, on a nié leur culture, leur cosmologie, et beaucoup continuent encore aujourd'hui à leur cracher dessus. Il faudrait sans doute rappeler que les tribus sont chez elles, et ce depuis plus de 50 000 ans. Les Aborigènes n'ont cependant pas, hélas, leur Black Lives Matter. Comment réussir à se protéger quand on est constamment nié? Quand on nous laisse entendre que nous n'existons pas, sinon pour le folklore? Marvellous, l'adolescent pitjantjatjara de mon récit, incarne la tragédie de la perte de l'estime de soi. La fuite vers l'oubli au prix de la vie elle-même. Ce garçon n'est pas ainsi parce qu'il est aborigène. Il est ainsi parce qu'il est un être humain. Sa civilisation extraordinaire lui viendra en aide. Elle était là, millénaire, sur puissante, derrière cette apparence de désolation.
LE DON DE SKULLARS NEWTON
«Le don de Skullars Newton» est très cher à mon cœur.
J'écris depuis bientôt 25 ans, et le sujet de la dissimulation - des apparences, trompeuses ou pas - me poursuit depuis toujours. QUI SE CACHE VRAIMENT DERRIÈRE LE MASQUE?
Que ne donnerions-nous pas, parfois, pour savoir ce que ressent, ce que pense notre interlocuteur?
Alors j'ai poussé l'idée jusqu'à son aboutissement total: et si mon personnage pouvait TOUT voir chez les autres? Y compris le fonctionnement physiologique le plus subtil? S'il pouvait lire dans les corps? Dans le cerveau, dans les poumons, les reins, les os, le sexe de ceux dont il croise la route?
Cela ferait-il de lui un amant extraordinaire, un médecin prodigieux, et peut-être un gourou effrayant?
Ou bien serait-il anéanti par ces capacités lui permettant de tout savoir de ce qui se produit - même l'intime de l'intime - chez ses semblables?
J'ai choisi, comme porteur de ce don, un Rastafari. Ceux-ci entretiennent, depuis des décennies, des valeurs humaines très fortes et belles, dans une Jamaïque pourtant ravagée par la violence. Skullars Newton est donc notre homme. Il emporte avec lui, à travers le monde, le lourd secret de cette magie. C'est un personnage positif et lumineux, mais il trouve dans le récit sa Némésis, incarnée par Fyah, un fou terrifiant qui se nourrit du mal qu'on lui fait, autant que de celui qu'il inflige.
La belle Sissi, elle, incarne la quête des cœurs épris d'absolu, et la vie la malmène, sans que jamais elle ne lâche prise.
Parmi d'autres personnages, je voudrais aussi citer Ebunoluwa, petite fille à la force de caractère hors du commun, dont on craint, au long des péripéties, qu'elle soit brisée par le monstre. Sa rectitude morale, son sens de la justice, qui l'enferment dans un corset en même temps qu'ils la soutiennent, la sauveront-ils?
Le roman raconte l'histoire de ces héros, et de leurs interactions.
LES IVRESSES
L'éditeur m'a très gentiment laissé choisir la couverture de ce roman. Tous ceux qui tombent sur ce livre aiment cette magnifique aquarelle de Rodin, que j'ai trouvée dans un livre offert par une amie.
Les ivresses est un récit épistolaire extrêmement sombre, basé pour une grande part sur des expériences personnelles. Les morts violentes m'ont cerné toute ma vie. Celles de membres de ma famille, celles de proches. J'ai eu un accident de montagne dont je suis sorti indemne par miracle, mais j'ai personnellement connu une dizaine de personnes qui se sont tuées dans les sommets, asphyxiées, écrasées, foudroyées...
Nous en venons dans ce cas à réfléchir activement sur le sens de l'existence. Les œuvres d'art ne nous apparaissent plus de la même manière: la part de ténèbres que contient une toile de Bosch nous saute soudain aux yeux, et nous comprenons mieux ces temps où la vie nous était ravie au détour d'un chemin par la peste ou les brigands. Nous mesurons avec plus d'acuité, avant d'avoir vieilli, que ceux que nous aimons nous serons arrachés. Cela peut sonner comme une malédiction, un constant rappel des grandes cruautés à venir, mais c'est également une chance qui nous est offerte, que cette vision exagérément pénétrante, comme diraient les bouddhistes: ne vivons pas dans l'ignorance, dans le divertissement obsessionnel, cueillons le jour. Et acceptons, avec gratitude, les ivresses qui nous sont offertes.
LES VIOLETTES
A l'époque où j'ai écrit Les violettes, il n'existait aucune littérature de fiction sur la mafia albanaise. On n'en entendait jamais parler. Ses cousines italiennes, italo-américaines, russes, chinoises ont inspiré des milliers de livres et de films; rien, cependant, sur les tueurs du Pays de l'Aigle, et le Kanun.
C'est encore une rencontre qui est à l'origine de ce roman. J'ai fait la connaissance d'une Serbe, au moment des bombardements de Belgrade par l'OTAN. Elle était réfugiée à Paris, et, si elle ne niait pas la responsabilité des siens dans les atrocités qui avaient été commises au cours de cette guerre compliquée, elle m'a raconté la mafia albanaise, sa puissance, et son efficacité. Comme elle parlait d'un ennemi, j'étais tout de même un peu méfiant, mais j'ai gardé à l'esprit ce qu'elle m'avait dit. Et j'ai commencé à me renseigner. Je n'avais pas Internet, j'étais loin des bibliothèques... Il m'a fallu du temps.
Quand j'ai enfin pris la mesure du phénomène, après avoir appris des anecdotes stupéfiantes sur ces gens qui effraient et tuent jusqu'aux membres des plus grandes familles mafieuses italo-américaines, quand j'ai lu les articles du Kanun, j'ai voulu écrire un roman. J'ai pu de surcroît m'appuyer sur des contacts que j'ai en Suisse romande, où la mafia albanaise sévit depuis de longues années maintenant.